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Monsieur Pingouin
Monsieur Pingouin
4 octobre 2013

Une journée à Metroland.

Chaque ligne de train conduit à Metroland.

Aujourd’hui, il se rend à Metroland pour la rencontrer. Sur sa liste on peut lire la joie, l’impatience et l’appréhension. Dans le grand hall de la Gare Centrale des gens se pressent d’autres stagnent en attendant leur heure. En descendant les escaliers centraux il débouche sur un dédale d’escaliers menant chacun à un quai où toutes les destinations sont possibles. Sur le quai numéro 3 il se souvient de la première fois où il était venu. Il raccompagnait la fille de psycho et l’avait regardé partir. Pour lui il y avait deux sortes de personnes sur les quais de gare. Ceux qui partent et ceux qui regardent les autres partir. Il n’a jamais aimé faire partie de la deuxième catégorie. C’était comme si ceux qui prenaient le train avait le dessus sur ceux qui restaient. Parce qu’ils avaient décidé de partir, d’aller de l’avant et lui, restait là où il était.

Cette fois ci, c’était à son tour de partir. Parce qu’il le voulait. Mais était-ce pour fuir ce qu’il ne voulait plus ou pour aller vers ce qu’il désirait ? Le train démarra doucement et les murs noirs des tunnels défilèrent devant lui. Il avait toujours préférés les tunnels des métros. Peut-être à cause de leur architecture moins uniforme, plus sinueuses. Un labyrinthe sans fin où toute une civilisation pourrait se cacher sur des centaines de kilomètres de long et des étages dont le nombre serait inconnu. Il s’imaginait les arpenter seul, suivant les tuyaux des murs le menant peut-être à l’une des Metrovilles.

Quand il était petit, il avait été marqué par le générique de fin d’une série télévisée tirée d’un comics américain. Le personnage principal marchait seul le long des rails du train. Depuis lors, il essayait de comprendre pourquoi cette image l’avait intrigué. Il commença par l’imiter en marchant en solitaire dans la cours de récré de la maternelle pour s’imprégner de la sensation d’être seul. Mais au bout d’un moment, il se lassa et rejoignit les autres enfants. Cependant, au fond de lui, il y avait pris gout. Il aimait se retrouver avec lui même pour simplement penser et imaginer des scénarios dont il était l’auteur et l’acteur. Ce n’était que plus tard, en ayant grandi et muri qu’il comprit pourquoi le personnage était seul. Ce n’était pas par choix mais par obligation. Il devait fuir chaque lieu qu’il traversait car sa malédiction se répétait malgré lui. Malgré ses efforts il ne pouvait pas contrôler l’autre qui était en lui. Cet homme vert, en colère, détruisant tout sur son passage, effrayait les gens. Il n’avait donc pas d’autres choix que de partir. Contrairement à ce personnage, il avait le choix. Il pouvait décider d’être seul ou non. Et même s’il aimait la solitude, il savait qu’il avait besoin des autres. Toutefois, au final, il fut poussé par la force des choses à quitter ses amis. Et il éprouva la solitude obligée du personnage.

Quelques minutes plus tard, un grand homme mince au nez pointu valida son ticket. A travers la fenêtre il observait les paysages se succéder devant ses yeux. Comme le trajet durait une heure il avait pris un livre pour s’occuper. Contrairement à ce qu’on dit, il n’y a rien de plus ennuyeux que de regarder des arbres et des champs quand on est dans un train. Il interrompit plusieurs fois sa lecture pour repenser à sa liste. Que ressentait-il ? Était-il toujours aussi extatique et effrayé à la fois ? Ou l’une ou l’autre de ces émotions avait pris le dessus ?

Le train s’engagea dans la gare et s’arrêta. Il descendit du train et contempla le quai puis l’horizon. En face de lui, posée sur un grand bloc de pierre gris, se dressait la fusée de Tintin. Il envoya un message pour la prévenir qu’il était bien arrivé. Elle lui répondit brièvement qu’elle serait là dans 3 minutes. En l’attendant, il observa les employés du service d’entretient nettoyer les vitres de part et d’autres des escaliers menant à la ville. Pour la rejoindre il prit les escaliers à droite de la fusée et longea le parking jusqu’à sa voiture. Elle portait un pull bleu à capuche et un pantalon en jeans un peu trop large pour elle de la même couleur. Elle l’avait prévenu qu’elle avait encore coupé ses cheveux et qu’elle n’aimait pas sa nouvelle coupe. En réalité, elle était magnifique. Et il réalisa que ses cheveux bouclaient un peu. Ce qui lui donnait une petite touche farouche à l’image de sa personnalité. Sur sa liste, il ajouta « conquis ».

Elle démarra la voiture et ils partirent pour le centre ville. Sur le chemin il regarda l’intérieur du véhicule et se rappela de la première fois où il était monté dedans. C’était en hivers, elle l’avait invité à passer la journée sur son lieu de travail. Elle lui montra concrètement ce qu’était son métier et la façon dont elle abordait sa profession. Elle l’avait vraiment surpris par son professionnalisme. Elle était gentille mais sérieuse. Respectant parfaitement la distance patient-soignant. Elle n’avait que 23 ans et elle était déjà si adulte dans ce contexte. Sur l’heure de midi, ils partirent manger dans une galerie commerciale. Ils en profitèrent pour faire du shopping. Elle cherchait un pantalon et lui finit par acheter des baguettes à sushi. Vers la fin de la journée, elle s’assit sur la table de kiné et il se mit à côté d’elle. Leur bras était l’un contre l’autre. Ce n’était pas délibéré de sa part mais on fond de lui, il appréciait cette proximité.

Ils firent plusieurs tours avant de trouver une place dans un parking. Elle ouvrit le coffre pour qu’il dépose sa veste et il lui montra les affaires qu’il lui avait rapportées. Elle ferma le coffre et  commença la visite guidée. Il fut surpris par sa connaissance de la culture et du folklore de la ville. Elle semblait connaître le nom de chacune des places et des statues qu’ils rencontraient. Elle lui indiqua le meilleur endroit pour manger des gaufres. Elle lui montra l’opéra royal de Wallonie en face duquel se dresse la statue de Grétry né en 1741 et mort en 1813. Ils calculèrent sont âge et conclurent qu’il avait bien vécu. Alors qu’ils s’éloignèrent il se retourna et regarda attentivement la statue. Il avait un étrange pressentiment. Comme si la statue était en train de l’observer. Il se rapprocha et la main droite de Grétry s’abaissa et sa tête se tourna vers lui. La statue lui dit alors, « mon corps est enterré au Père-Lachaise mais mon cœur repose ici, dans une urne déposée dans le socle de ma statue ». Surpris, il se retourna vers son amie qui lui dit « bienvenu dans mon monde ».

Elle le conduisit ensuite jusqu’aux escaliers de la Montagne de Bueren et se mirent à les escalader. Et escalader n’est pas un euphémisme. Elle lui explique qu’il y en a 374 et qu’une fois par an, le premier samedi d’octobre, les escaliers sont illuminés par 3000 bougies. Ces escaliers ont été érigés pour éviter que les soldats ne passent le soir par les rues où de nombreuses tavernes résidaient. Les soldats, qui en sortaient imbibés en bon folklorique qu’ils étaient, faisaient trop de bruit pour les riverains. Arrivé à la moitié de leur ascension, il se retourna pour regarder l’horizon depuis cette hauteur. Lorsqu’il se remit à monter les marches, il vit un homme habillé en soldat sur sa droite. Le soldat s’approcha et lui dit « foutue idée de construire ces escaliers ! Il y en a plus d’un qui s’est vautré à moitié bourré. Et tu penses bien que pour faire chier notre monde on s’amusait à pisser d’en haut pour voir qui aurait pissé le plus loin. Ca sentait bon le cuberdon, je te le dis. Mais bon, au final ce n’était pas si mal. On gagnait du temps. Surtout que moi et mes compagnons on avait l’habitude d’aller à la taverne dès qu’on en avait l’occasion. Je me souviens de la serveuse. Elle s’appelait Rory. Une belle fille. Brune, cheveux long, des yeux gris. Et bien comme il faut ! C’était toujours elle qui me servait. Elle était au petit soin. Je te le dis, les filles d’ici, elles te font oublier ta solitude. » Le soldat s’éloigna et disparu quelque instant après. Le garçon se tourna vers son amie et la contempla. Il lui sourit et se remit en marche.

Après avoir gravis les 374 marches elle décida de retirer son pull, découvrant un t-shirt de Lola et Liza qui lui allait merveilleusement bien. Il fut si surpris qu’il laissa s’échapper de sa bouche une exclamation de benêt.  Il rajouta à sa liste : embarrassé et séduit.

Ils suivirent un chemin qui les emmena jusqu’à une passerelle dégagée des arbres pour contempler d’en haut la ville qui se découvrait à l’horizon. Ils remarquèrent une cours d’école où les enfants jouaient et il lui fit remarquer que l’école semblait un peu rustique. Ils prirent ensuite les escaliers à gauche et redescendirent vers la ville en suivant un long sentier en « S ». Arrivés en bas, elle lui montra une cathédrale et passèrent devant l’école qui, en plus d’être rustique, avait des barbelé à ses clôtures. C’était surement pour protéger les passants d’une quelconque tentative d’évasion de l’un ou l’autre petit monstre. La relève de Steve McQueen dans la Grande Evasion était bien assurée. En s’éloignant il entendit un des enfants crier « Bousilleeeeeeeeeeeeeeer ». Et il sourit.

L’heure de table était déjà passée et ils partirent à la recherche d’un endroit pour sustenter leur faim. Comme il n’aime pas grand-chose elle lui proposa de manger un hamburger ou des boulets de Liège. Sa gentillesse le toucha et nota sur sa liste : reconnaissant. Finalement, ils sont entrés dans la taverne où elle avait fêté la fin de ses études et commandèrent chacun deux boulets de liège avec des frites. Plats typique de la région.

Après le repas ils retournèrent sur la place saint Lambert, la place de l’opéra. Ils se baladèrent aux alentours du carré qui sent bon le cuberdon. Ils pénétrèrent dans divers magasins et restèrent un bon moment dans un magasin d’accessoire de maison. Elle trouva une grande tasse verte et se retourna vers lui en tenant la tasse devant sa bouche et fit une moue d’enfant en lui racontant qu’elle boirait une boisson chaude quand elle serait dans son appartement. Il l’a trouva adorable. C’était étonnant de la voir retrouver son âme d’enfant dans de pareilles circonstances. Mais c’était un réel plaisir de la regarder et de l’écouter. Toute la journée elle n’avait cessé de le surprendre par sa façon d’être. Plus tôt, elle l’avait déjà fait sourire en lui expliquant l’histoire de la région avec une voix aguichante de secrétaire répondant au téléphone. Alors qu’il était venu pour lui changer les idées, c’était elle qui le faisait rire et sourire.

Elle l’emmena à la maison du péquet où ils burent chacun un verre de ce doux breuvage. En sortant ils passèrent devant la statue de Simenon. Le garçon s’assis sur le banc à coté de l’écrivain. Celui-ci lui tendit sa pipe en lui disant « une petite bouffée petit ? »

-Je risque mes couilles mais pourquoi pas. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de tirer sur la pipe d’un grand écrivain.
-Si tu le dis petit. Tu aimes lire ?
-Oui, mais je lis moins qu’avant.
-Et pourquoi ?
-Parce que j’en ai moins besoin ou peut-être par fainéantise.
-Et t’écris ?
-J’écris des listes. Je voudrais écrire des petites histoires pour moi. Quelque chose de différent, de décalé. Avec de l’absurde. Mais pour ça il faut de l’imagination. Inventer une histoire avec des personnages bien construits. Mais au final je retombe toujours sur des gens qui existent déjà.
-Tu n’es peut-être pas assez original, petit.
-Peut-être. Mais les gens qui ne me connaissent pas me trouvent bizarre. C’est une forme d’originalité quelque part.
-Et ça te plait d’être bizarre ?
-Ca dépend. D’un coté on se sent particulier et on profite d’une certaine liberté d’action car les gens ne savent pas quoi penser de vous mais d’un autre coté, comme ça les dérange de ne pas comprendre, ils restent à distance.
-C’est peut-être toi qui ne les comprend pas.
-Je les comprends tels qu’ils sont.
-Tu as l’œil ?
-J’ai les yeux, les oreilles mais souvent il me manque les mots, la spontanéité.
-Tu as les yeux, petit. Parfois on a juste besoin des yeux pour se faire comprendre. Allez, rends moi ma pipe. Ca va te tuer un jour, petit.

Il se leva du banc et regarda son amie dans les yeux. Ils avaient tous les deux les yeux verts mais ceux de son amie étaient plus foncés.

Ils terminèrent leur journée en buvant un jus de fruit. Ils s’installèrent dehors et quelques goutes de pluies se mirent à tomber. C’est à ce moment qu’elle a, un court instant, montré son chagrin. Il s’assit à coté d’elle et passa ses bras autours de ses épaules pour la réconforter. Sur sa liste la peur fit son retour. Il avait peur de ne pas trouver les mots pour la rassurer. Finalement, elle sécha ses larmes et s’excusa. Elle n’avait pas à le faire.

Ils retournèrent à la voiture et elle le reconduisit à la gare. En la quittant il l’embrassa sur la joue avec toute la tendresse qu’il avait. Il descendit de la voiture et se dirigea sur le quai. Quelques minutes plus tard le train arriva et il monta dedans. Sur le chemin du retour, il repensa à tous ces moments passés avec elle. Plus le train avançait et plus il avait l’impression de s’éloigner de ce qu’il désirait et de se rapprocher de ce qu’il avait fuit.

Metroland n’est pas un lieu mais un état d’esprit. Metroland, c’est ce à quoi on inspire. C’est la façon dont on a envie de vivre. Son rêve à lui, c’est d’un jour se poser sur un banc et de lire sur sa liste : une femme « oui », un enfant  « oui », un boulot « oui », une maison « oui », un jardin « oui », une voiture « discutable », et à côté d’heureux « si ce n’est pas maintenant, jamais ». Après cette journée, il comprit que c’était avec elle qu’il voulait écrire ses listes et qu’avec elle, son besoin de solitude disparaîtrait.

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